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Un
certain Monsieur Al Jaburi
Dès
Octobre 2002 la CIA qui se préparait à la guerre contacta
le principal parti d'opposition Irakien, l' I.N.A. Ibrahin J., agent de
liaison de l'I.N.A. avec les services américains raconte:
" Ils nous demandé de trouver des types serieux, des pros,
pour les entrainer pour des missions secrètes en Irak. Alors je
leur ai donné Al Jaburi " |
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Un
café à Amman
Al
Jaburi avait le bon profil pour les recruteurs de la CIA. La quarantaine,
costaud, en bonne santé, Monsieur Jaburi (qui préfère
pour des raisons compréhensibles que son vrai nom ne soit pas divulgué)
avait surtout comme atout d'avoir servi durant une dizaine d'années
dans l'agence la plus redoutée du régime de Saddam, l'OSS
(Organisation speciale de Sécurité).
A la fin des années 80 il perd son poste lors d'une purge de Saddam
Hussein contre l'OSS dont il soupçonnait certains membres de préparer
un coup d'état. En 1999 Al Jaburi part en Jordanie où il
rejoint un parti d'opposition en exil, l'I.N.A, qui avait des liens déja
bien établis avec la CIA.
Le premier contact eu lieu dans un café à Amman le 18 octobre
2002.
Al Jaburi fut ensuite interrogé durant plusieurs jours par les
hommes de la CIA équipés d'un détecteur de mensonges.
Les questions portaient sur de nombreux sujets, par exemple si il était
volontaire ou si on l'avait forcé à les rejoindre. Une des
questions demandait ce qu'il ferait si il se retrouvait à devoir
combattre son propre frère.
"Je le tuerais." répondit Al Jaburi. |
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Quelque
part au Texas
Le
22 novembre raconte Al Jaburi,
il signe un contrat avec la CIA lui garantissant un salaire mensuel de
3000$ et une avance de 9000$.
Deux jours plus tard, il s'envole dans un petit jet privé pour
Washington. Il y retrouve 13 autres recrues, des Irakiens et des Libanais.
Un autre avion les emporte vers une base secrete située à
quelques heures de vol. On leur dit qu'ils sont "quelque part au
Texas". Pendant deux mois, une vingtaine d'instructeurs s'y succèdent
pour les former physiquement, leur enseigner la recolte d'informations,
la rédaction de rapports et la surveillance. Puis, dans une autre
base navale, les recrues apprennent le maniement des explosifs et comment
saboter des vehicules blindés, des tanks, des pipelines, des pylones
éléctriques et des trains.
En fevrier, Al Jaburi reprend l'avion
pour le Koweit, où il séjourne dans une villa avec ses tuteurs
de la CIA. Il l'équipent avec 50 000$ en cash, une balise GPS,
des téléphones satellitaires et une fausse carte d'identité
irakienne attestant qu'il est libéré de ses obligations
militaires, afin qu'il puisse se déplacer sans problèmes
en Irak.
Le 11 mars, Al Jaburi, rentre en Irak,
passant la frontière avec l'aide de contrebandiers et des services
secrets Koweitiens.
"Ayant fait partie de l'OSS, je pouvais mesurer le danger de ma mission"
, dit Al jaburi, "mais je savais aussi que je devais le faire." |
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Un
Ami bien placé
Les
50 000$ que Al Jaburi avait reçus de la Cia devaient servir essentiellemnt
à acheter des
complices. Le premier fut "Ahmed" (nom modifié) un autre
officier du SSO qu'il connaissait et qui travaillait dans les batiments
présidentiels. "Je lui ai tout dit," raconte Al Jaburi
"que j'avais donné son nom aux américains et je lui
ai proposé 5000$." Ahmed accepta de suite et donna toutes
les positions de la garde républicaine dans Bagdad et ses environs
et révéla
que les ordres étaient de se retirer à l'interieur de la
ville en cas d'attaque.
Il dévoila aussi toutes les positions des armes lourdes et des
batteries de missiles autour de la capitale, cibles que les américains
purent ensuite frapper avec
une grande efficacité durant la campagne aérienne. |
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Espions,
limousines et satellites
Ayant
recueilli les précieuses informations de son ex-collègue
Ahmed, Al Jaburi devait maintenant repérer tous les sites dévoilés
par celui ci.
Pour ce faire, il fit appel a son ami Mashadani, un major des Mukhabarats,
l'agence principale de renseignement irakienne, qu'il avait recruté
deux ans
auparavant et qui ayant accès aux secrets les mieux gardés
des mukhabarats, transmettait déjà a la CIA des informations
sur les missiles irakiens, les batteries anti-aériennes et les
mouvements de troupes.
Mashadani pensait que les Américains pouvaient les aider à
se débarrasser de Saddam Hussein et accepta d'aider son ami.
A bord d'une limousine officielle des mukhabarats, a laquelle il avait
droit en tant qu'officier de l'organisation, Mashadani et Al Jaburi visitèrent
les lieux identifiés par Ahmed. Une fois une location trouvée,
Al Jaburi activait discrètement sa balise GPS, qui à l'aide
des satellites lui donnait les coordonnées exactes du lieu. Toutes
les nuits il appelait ensuite la CIA avec son téléphone
satellitaire pour leur transmettre les coordonnées. Ceci demandait
une grande prudence car sous le régime de Saddam la simple possession
d'un téléphone satellitaire était passible de la
peine de mort. |
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Pour
quelques dollars de plus
La mission prioritaire d'Al Jaburi était
d'explorer l'aéroport "Saddam International", une des
clés de la prise de Baghdad.
Son ami Ahmed connaissait un certain "Mahmoud", commandant du
3e bataillon de la SSO, chargé de la sécurité de
l'aéroport.
Ahmed savait que Mahmoud pestait contre Saddam en privé, alors
il l'invita à sortir boire un verre, pour essayer d'en savoir plus
sur son point de vue. Le commandant de l'aéroport fut suffisamment
négatif à propos de Saddam pour justifier une deuxième
soirée de beuverie, cette fois en présence d'Al Jaburi.
Lors d'une troisième entrevue, Al Jaburi lui demanda de coopérer
et lui proposa 15000$. Le commandant accepta.
Le soir du 23 mars, alors que la guerre faisait rage dans le sud de l'Irak
et que Baghdad subissait des bombardements nocturnes, le commandant de
l'aéroport conduisit Al Jaburi, déguisé en militaire,
et Mashadani, toujours muni de ses laisser-passer de Mukhabarat, à
l'intérieur de l'aéroport.
A bord d'une voiture des SSO, le trio repèra chaque bâtiment
et bunker, comptant tous les soldats et toutes les armes qu'ils voyaient.
Ils répétèrent trois fois cette opération
durant trois nuits, suivant les instructions de la CIA, afin de confirmer
leurs observations.
En fin de compte, les stratèges américains purent disposer
d'un plan détaillé de l'aéroport, leur indiquant
les points faibles des défenses irakiennes, ainsi que les points
d'atterrissage les moins risqués pour des hélicoptères.
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Trahi
par les siens !
Le
26 Mars 2003 Al Jaburi épuisé, va rendre visite à
sa famille non loin de Tikrit.
Le lendemain son fère, ingénieur à la raffinerie
voisine, y est convoqué pour détruire des documents importants
avant qu'ils ne tombent au mains des américain.
Al Jaburi décide de l'accompagner pour essayer de récuperer
ces documents.
C'était un piège! La voiture d'Al Jaburi est encerclée
par la police secrète de Saddam.
Il apprendra plus tard qu'ils avaient été renseignés
par un membre de sa famille qui espèrait toucher une récompense.
Il est emmené à la terrible prison d'Abu Ghraib, la dernière
étape pour les opposants du régime.
Al Jaburi pense alors sa dernière heure arrivée. Ses géoliers
lui recouvrent la tête d'une cagoule et l'accrochent au plafond
par les bras attachés dans son dos.
Il est frappé avec des cables et des matraques, ses pieds sont
ecrabouillés.
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Torturé!
Pendant
ce temps Mashadani avait été convoqué par ses supérieurs
qui voulaient lui confier une mission spéciale. Il se rendit dans
les locaux des Mukhabarats où il apprit que sa mission était
d'avoir des tas de revolvers braqués sur lui !
On l'interrogea sur ses liens avec Al Jaburi.
"Tous les officiers supérieurs étaient présents
à mon interrogatoire" raconte t'il
"Ils étaient tous furieux qu'un officier des mukhabarats soit
complice d'un espion."
A l'aube ils l'emmenèrent rejoindre Al Jaburi, battu, dans sa prison.
Les deux hommes gardèrent le silence.
Durant quatre jours ils furent torturés : on les frappa, on les
électrocuta, Al Jaburi eut la main brisée. A un moment leurs
geôliers amenèrent la mère et la femme d'Al Jaburi
dans la prison pour les interroger.
Al Jaburi pouvait les entendre gémir et pleurer à travers
la porte de sa cellule.
Ces sessions duraient entre quatre et six heures. On lui demandait de
dénoncer les autres espions,
quelles informations il avait dévoilé avant d'être
capturé,
quelles coordonnées il avait envoyé avec son système
GPS. Son entraînement par la CIA l'avait préparé à
ne rien dire d'important.
Mais il craignait que le temps ne lui fut compté, car avec l'écroulement
du régime,les pelotons d'exécution de Saddam redoublaient
de zèle, extirpant des hommes par groupes de dix de leurs cellules
toutes les heures pour les fusiller.
" C'était comme un abattoir" dit Al Jaburi.
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Sauvés
!
Sur le point d'être exécutés,
Mashadani et Al Jaburi sont en fait transférés vers la prison
de Fallujah, à cause de l'avancée des américains
qui sont en train de prendre Baghdad, en partie grâce à leurs
informations. Puis on les éloigne encore, mutilés et mal
en point, à la prison de Ramadi. Le 11 avril, le dernier gardien
quitte la prison fuyant devant l'arrivée imminente des forces américaines.
Des habitants de Ramadi, trouvant la prison désertée, libérent
les prisonniers. Brandissant un drapeau blanc Mashadani et Al Jaburi se
rendent en boitant à une unité américaine. "Je
leur ai dit que nous venions de sortir de prison et que nous travaillions
pour la CIA" dit Al Jaburi. Un Humvee de la police militaire les
emporta rapidement vers l'aéroport de Baghdad qui était
(grâce à eux) sous contrôle US. Un officier de la CIA
les y accueillit les bras ouverts. "Ne touchez pas à mon dos
!" cria Al Jaburi, les blessures dues à ses interrogatoires
étant encore fraîches. Il se souvient que l'officier leur
dit : "Vous êtes les héros de l'aéroport, les
clés de la prise de Baghdad ! Votre avenir est assuré !"
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Epilogue
Mashadani et Al Jaburi, les héros de la bataille
de l'aéroport, se sentent aujourd'hui un peu floués. Al
Jaburi a reçu 75 000$ pour ses efforts et Mashadani 60 000$, des
sommes conséquentes dans un pays où le revenu annuel moyen
est de 2500$. Néanmoins les deux hommes se sentent très
exposés et pensent que les Américains devraient faire plus
pour les protéger. Le nom d'Al Jaburi est apparu sur une liste
noire tenue par les restants de la milice fedayin de Saddam. Deux membres
de sa famille ont été abattus en conduisant sa voiture.
Il se plaint que les Américains ne lui aient pas donné un
permis de port d'armes afin qu'il puisse se protéger. Sans un tel
permis les Irakiens armés risquent l'arrestation à chaque
barrage américain. « Les Américains ont bon coeur.
Quand ils vous aiment, ils vous aiment vraiment. » dit Al Jaburi
« mais quand vous avez fini votre boulot, ils vous oublient. »
Mais risquer sa vie en échange de peu de reconnaissance et d'aucune
gloire, tel est le lot de ces hommes étranges et courageux qu'on
appelle : Les Hommes de l'Ombre.
FIN
D'après Michael
Ware et Timothy J. Burger Traduit par Guzman Valdez |