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Au cours des grands événements de notre histoire récente, derrière la facade vernie des versions officielles présentées au médias, existent d'autres histoires, plus secrètes.
Celles que connaissent les hommes et les femmes qui travaillent dans les coulisses des évènements, dans les antichambres ou sur les champs de bataille, parfois au risque de leur vie, afin d'obtenir des informations souvent décisives.
Espions, contre-espions, agents secrets, forces spéciales, ces maîtres de l'intrigue et de la clandestinité n'ont droit en cas de succès à aucune gloire et souvent peu de récompense.

Ils sont :

Avant l'invasion de l'Irak, les services secrets américains ont recruté de tels hommes.
Avant les premières escarmouches les américains avaient infiltré au plus haut niveau l'infrastructure militaire de Saddam Hussein.
Voici l'histoire de la campagne secrète americaine en Irak et d'un de ses protagonistes cruciaux :

Un certain Monsieur Al Jaburi

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Un certain Monsieur Al Jaburi

 

Dès Octobre 2002 la CIA qui se préparait à la guerre contacta le principal parti d'opposition Irakien, l' I.N.A. Ibrahin J., agent de liaison de l'I.N.A. avec les services américains raconte:
" Ils nous demandé de trouver des types serieux, des pros, pour les entrainer pour des missions secrètes en Irak. Alors je leur ai donné Al Jaburi "

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Un café à Amman

Al Jaburi avait le bon profil pour les recruteurs de la CIA. La quarantaine, costaud, en bonne santé, Monsieur Jaburi (qui préfère pour des raisons compréhensibles que son vrai nom ne soit pas divulgué) avait surtout comme atout d'avoir servi durant une dizaine d'années dans l'agence la plus redoutée du régime de Saddam, l'OSS (Organisation speciale de Sécurité).
A la fin des années 80 il perd son poste lors d'une purge de Saddam Hussein contre l'OSS dont il soupçonnait certains membres de préparer un coup d'état. En 1999 Al Jaburi part en Jordanie où il rejoint un parti d'opposition en exil, l'I.N.A, qui avait des liens déja bien établis avec la CIA.
Le premier contact eu lieu dans un café à Amman le 18 octobre 2002.
Al Jaburi fut ensuite interrogé durant plusieurs jours par les hommes de la CIA équipés d'un détecteur de mensonges. Les questions portaient sur de nombreux sujets, par exemple si il était volontaire ou si on l'avait forcé à les rejoindre. Une des questions demandait ce qu'il ferait si il se retrouvait à devoir combattre son propre frère.
"Je le tuerais." répondit Al Jaburi.

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Quelque part au Texas

Le 22 novembre raconte Al Jaburi, il signe un contrat avec la CIA lui garantissant un salaire mensuel de 3000$ et une avance de 9000$.
Deux jours plus tard, il s'envole dans un petit jet privé pour Washington. Il y retrouve 13 autres recrues, des Irakiens et des Libanais. Un autre avion les emporte vers une base secrete située à quelques heures de vol. On leur dit qu'ils sont "quelque part au Texas". Pendant deux mois, une vingtaine d'instructeurs s'y succèdent pour les former physiquement, leur enseigner la recolte d'informations, la rédaction de rapports et la surveillance. Puis, dans une autre base navale, les recrues apprennent le maniement des explosifs et comment saboter des vehicules blindés, des tanks, des pipelines, des pylones éléctriques et des trains.

En fevrier, Al Jaburi reprend l'avion pour le Koweit, où il séjourne dans une villa avec ses tuteurs de la CIA. Il l'équipent avec 50 000$ en cash, une balise GPS, des téléphones satellitaires et une fausse carte d'identité irakienne attestant qu'il est libéré de ses obligations militaires, afin qu'il puisse se déplacer sans problèmes en Irak.

Le 11 mars, Al Jaburi, rentre en Irak, passant la frontière avec l'aide de contrebandiers et des services secrets Koweitiens.
"Ayant fait partie de l'OSS, je pouvais mesurer le danger de ma mission" , dit Al jaburi, "mais je savais aussi que je devais le faire."

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Un Ami bien placé

Les 50 000$ que Al Jaburi avait reçus de la Cia devaient servir essentiellemnt à acheter des
complices. Le premier fut "Ahmed" (nom modifié) un autre officier du SSO qu'il connaissait et qui travaillait dans les batiments présidentiels. "Je lui ai tout dit," raconte Al Jaburi "que j'avais donné son nom aux américains et je lui ai proposé 5000$." Ahmed accepta de suite et donna toutes les positions de la garde républicaine dans Bagdad et ses environs et révéla
que les ordres étaient de se retirer à l'interieur de la ville en cas d'attaque.
Il dévoila aussi toutes les positions des armes lourdes et des batteries de missiles autour de la capitale, cibles que les américains purent ensuite frapper avec
une grande efficacité durant la campagne aérienne.

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Espions, limousines et satellites

Ayant recueilli les précieuses informations de son ex-collègue Ahmed, Al Jaburi devait maintenant repérer tous les sites dévoilés par celui ci.
Pour ce faire, il fit appel a son ami Mashadani, un major des Mukhabarats, l'agence principale de renseignement irakienne, qu'il avait recruté deux ans
auparavant et qui ayant accès aux secrets les mieux gardés des mukhabarats, transmettait déjà a la CIA des informations sur les missiles irakiens, les batteries anti-aériennes et les mouvements de troupes.
Mashadani pensait que les Américains pouvaient les aider à se débarrasser de Saddam Hussein et accepta d'aider son ami.
A bord d'une limousine officielle des mukhabarats, a laquelle il avait droit en tant qu'officier de l'organisation, Mashadani et Al Jaburi visitèrent les lieux identifiés par Ahmed. Une fois une location trouvée, Al Jaburi activait discrètement sa balise GPS, qui à l'aide des satellites lui donnait les coordonnées exactes du lieu. Toutes les nuits il appelait ensuite la CIA avec son téléphone satellitaire pour leur transmettre les coordonnées. Ceci demandait une grande prudence car sous le régime de Saddam la simple possession d'un téléphone satellitaire était passible de la peine de mort.

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Pour quelques dollars de plus


La mission prioritaire d'Al Jaburi était d'explorer l'aéroport "Saddam International", une des clés de la prise de Baghdad.
Son ami Ahmed connaissait un certain "Mahmoud", commandant du 3e bataillon de la SSO, chargé de la sécurité de l'aéroport.
Ahmed savait que Mahmoud pestait contre Saddam en privé, alors il l'invita à sortir boire un verre, pour essayer d'en savoir plus sur son point de vue. Le commandant de l'aéroport fut suffisamment négatif à propos de Saddam pour justifier une deuxième soirée de beuverie, cette fois en présence d'Al Jaburi.
Lors d'une troisième entrevue, Al Jaburi lui demanda de coopérer et lui proposa 15000$. Le commandant accepta.
Le soir du 23 mars, alors que la guerre faisait rage dans le sud de l'Irak et que Baghdad subissait des bombardements nocturnes, le commandant de l'aéroport conduisit Al Jaburi, déguisé en militaire, et Mashadani, toujours muni de ses laisser-passer de Mukhabarat, à l'intérieur de l'aéroport.
A bord d'une voiture des SSO, le trio repèra chaque bâtiment et bunker, comptant tous les soldats et toutes les armes qu'ils voyaient.
Ils répétèrent trois fois cette opération durant trois nuits, suivant les instructions de la CIA, afin de confirmer leurs observations.
En fin de compte, les stratèges américains purent disposer d'un plan détaillé de l'aéroport, leur indiquant les points faibles des défenses irakiennes, ainsi que les points d'atterrissage les moins risqués pour des hélicoptères.

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Trahi par les siens !

Le 26 Mars 2003 Al Jaburi épuisé, va rendre visite à sa famille non loin de Tikrit.
Le lendemain son fère, ingénieur à la raffinerie voisine, y est convoqué pour détruire des documents importants avant qu'ils ne tombent au mains des américain.
Al Jaburi décide de l'accompagner pour essayer de récuperer ces documents.
C'était un piège! La voiture d'Al Jaburi est encerclée par la police secrète de Saddam.
Il apprendra plus tard qu'ils avaient été renseignés par un membre de sa famille qui espèrait toucher une récompense.
Il est emmené à la terrible prison d'Abu Ghraib, la dernière étape pour les opposants du régime.
Al Jaburi pense alors sa dernière heure arrivée. Ses géoliers lui recouvrent la tête d'une cagoule et l'accrochent au plafond par les bras attachés dans son dos.
Il est frappé avec des cables et des matraques, ses pieds sont ecrabouillés.

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Torturé!

Pendant ce temps Mashadani avait été convoqué par ses supérieurs qui voulaient lui confier une mission spéciale. Il se rendit dans les locaux des Mukhabarats où il apprit que sa mission était d'avoir des tas de revolvers braqués sur lui !
On l'interrogea sur ses liens avec Al Jaburi.
"Tous les officiers supérieurs étaient présents à mon interrogatoire" raconte t'il
"Ils étaient tous furieux qu'un officier des mukhabarats soit complice d'un espion."
A l'aube ils l'emmenèrent rejoindre Al Jaburi, battu, dans sa prison. Les deux hommes gardèrent le silence.
Durant quatre jours ils furent torturés : on les frappa, on les électrocuta, Al Jaburi eut la main brisée. A un moment leurs geôliers amenèrent la mère et la femme d'Al Jaburi dans la prison pour les interroger.
Al Jaburi pouvait les entendre gémir et pleurer à travers la porte de sa cellule.
Ces sessions duraient entre quatre et six heures. On lui demandait de dénoncer les autres espions,
quelles informations il avait dévoilé avant d'être capturé,
quelles coordonnées il avait envoyé avec son système GPS. Son entraînement par la CIA l'avait préparé à ne rien dire d'important.
Mais il craignait que le temps ne lui fut compté, car avec l'écroulement du régime,les pelotons d'exécution de Saddam redoublaient de zèle, extirpant des hommes par groupes de dix de leurs cellules toutes les heures pour les fusiller.
" C'était comme un abattoir" dit Al Jaburi.

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Sauvés !


Sur le point d'être exécutés, Mashadani et Al Jaburi sont en fait transférés vers la prison de Fallujah, à cause de l'avancée des américains qui sont en train de prendre Baghdad, en partie grâce à leurs informations. Puis on les éloigne encore, mutilés et mal en point, à la prison de Ramadi. Le 11 avril, le dernier gardien quitte la prison fuyant devant l'arrivée imminente des forces américaines. Des habitants de Ramadi, trouvant la prison désertée, libérent les prisonniers. Brandissant un drapeau blanc Mashadani et Al Jaburi se rendent en boitant à une unité américaine. "Je leur ai dit que nous venions de sortir de prison et que nous travaillions pour la CIA" dit Al Jaburi. Un Humvee de la police militaire les emporta rapidement vers l'aéroport de Baghdad qui était (grâce à eux) sous contrôle US. Un officier de la CIA les y accueillit les bras ouverts. "Ne touchez pas à mon dos !" cria Al Jaburi, les blessures dues à ses interrogatoires étant encore fraîches. Il se souvient que l'officier leur dit : "Vous êtes les héros de l'aéroport, les clés de la prise de Baghdad ! Votre avenir est assuré !"

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Epilogue


Mashadani et Al Jaburi, les héros de la bataille de l'aéroport, se sentent aujourd'hui un peu floués. Al Jaburi a reçu 75 000$ pour ses efforts et Mashadani 60 000$, des sommes conséquentes dans un pays où le revenu annuel moyen est de 2500$. Néanmoins les deux hommes se sentent très exposés et pensent que les Américains devraient faire plus pour les protéger. Le nom d'Al Jaburi est apparu sur une liste noire tenue par les restants de la milice fedayin de Saddam. Deux membres de sa famille ont été abattus en conduisant sa voiture. Il se plaint que les Américains ne lui aient pas donné un permis de port d'armes afin qu'il puisse se protéger. Sans un tel permis les Irakiens armés risquent l'arrestation à chaque barrage américain. « Les Américains ont bon coeur. Quand ils vous aiment, ils vous aiment vraiment. » dit Al Jaburi « mais quand vous avez fini votre boulot, ils vous oublient. » Mais risquer sa vie en échange de peu de reconnaissance et d'aucune gloire, tel est le lot de ces hommes étranges et courageux qu'on appelle : Les Hommes de l'Ombre.

 

FIN

 

D'après Michael Ware et Timothy J. Burger
Traduit par Guzman Valdez

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